Un classique bordelais à l’heure du brunch : pourquoi c’est une bonne idée

À Bordeaux, la morue a longtemps été la grande voyageuse silencieuse des tables populaires. Présente dans les ports dès le XVe siècle grâce à la pêche dans les eaux de Terre-Neuve, elle a nourri générations d’ouvriers comme d’amateurs éclairés. Rendez-vous au marché des Capucins le samedi matin, les étals regorgent encore de cette morue fièrement salée, témoignage d’une mémoire intacte (source : Office de Tourisme de Bordeaux).

Le gratin de morue bordelais, spécialité typique, mêle la douceur de la morue dessalée, le crémeux d’une béchamel généreuse et le croustillant d’un chapelure dorée. Mais pourquoi réserver ce plat nourrissant aux diners familiaux ou aux tablées d’hiver ? Le brunch, héritier récent et métissé, aime ces détours inattendus. Il offre l’occasion de revisiter un monument, d’alléger la tradition, et d’ancrer la morue dans les petits matins gourmands.

Origines et secrets du gratin de morue bordelais

Avant toute réinterprétation, il est essentiel de saisir la composition authentique du gratin de morue bordelais. L’appellation recoupe une réalité variée : certains y ajoutent des pommes de terre pour plus de consistance, d’autres optent pour la béchamel seule. Un point commun : la morue dessalée longuement, effilochée, parfois mélangée à de l’oignon, de l’ail, du persil, voire des miettes de pain rassis.

  • La morue : à Bordeaux, elle provient historiquement des ports de la façade atlantique. Ce poisson blanc, riche en saveurs marines, est conservé dans le sel puis réhydraté.
  • La béchamel : d’origine italienne, elle offre ce liant lacté indispensable, mariant douceur et onctuosité (source : "Histoire de la béchamel", Larousse Gastronomique).
  • Le gratinage : la croûte dorée à four vif crée le contraste de textures tant apprécié.

En 2020, un sondage Ipsos révélait que 7 Français sur 10 apprécient tester une nouvelle version d’un plat régional lors de sorties au restaurant. La créativité culinaire appliquée aux recettes patrimoniales touche le cœur du public français.

Du four de grand-mère à l’assiette du brunch : moderniser sans dénaturer

Transposer le gratin de morue bordelais au brunch n’est pas qu’une affaire de mode. C’est l’occasion de le dépoussiérer, de l’adapter aux codes actuels : légèreté, praticité, partage et saisonnalité. Quelques pistes issues des restaurateurs girondins épris d’innovation et des tendances du brunch en Europe :

  1. Alléger la béchamel : Préférer un lait végétal ou un mélange lait/yaourt pour réduire la richesse, voire une béchamel à l’huile d’olive. Résultat : un ensemble plus digeste, parfait pour un repas du matin.
  2. Portionner différemment : Mini-cocottes individuelles, gratins en verrines ou dans de petits ramequins permettent un service plus adapté au brunch, propice à la dégustation de plusieurs mets.
  3. Penser accompagements : Salade croquante, crudités de saison, pickles maison. Cela contrebalance le côté suave du gratin et réveille les papilles.
  4. Introduire des herbes fraîches et agrumes : Aneth, ciboulette, zestes de citron ou d’orange subliment la saveur marine sans dominer.
  5. Pain et garnitures : Tartines de pain de campagne grillé, crackers aux graines ou blinis, pour jouer sur les textures.

Recette : Gratin de morue façon brunch, en version légère et créative

Voici une déclinaison facile à réaliser en moins de 45 minutes, adaptée à la convivialité d’un brunch tout en respectant l’esprit régional.

  • Ingrédients (pour 4 personnes) :
    • 300 g de morue dessalée
    • 400 g de pommes de terre (type grenaille, pour la tenue et l’aspect fondant)
    • 40 cl de lait (vache ou végétal selon préférence)
    • 30 g de beurre (ou huile d’olive douce)
    • 30 g de farine
    • 1 oignon doux, 2 gousses d’ail
    • Poivre noir, muscade fraîchement râpée
    • 1 bouquet d’aneth et/ou de ciboulette
    • Zestes d’un citron bio
    • 50 g de chapelure (panko ou pain rassis râpé)
    • 30 g de parmesan ou vieux cramant (facultatif)
  • Préparation :
    1. Cuire les pommes de terre à la vapeur, puis les couper en rondelles.
    2. Effilocher la morue préalablement poêlée rapidement (pour accentuer le goût), réserver.
    3. Faire revenir l’oignon et l’ail finement émincés dans un peu d’huile d’olive, puis ajouter la morue, continuer à feu doux deux minutes.
    4. Préparer une béchamel légère : beurre (ou huile d’olive) fondu, ajouter la farine en mélangeant, mouiller étroitement au lait, cuire jusqu’à épaississement, ajouter poivre, muscade et zestes.
    5. Assembler en mini-gratins : disposer les pommes de terre, la morue aux oignons, napper de sauce, parsemer de chapelure et de fromage râpé (si utilisé).
    6. Cuire 10 à 15 min au four à 200°C, juste pour gratiner.
    7. Servir chaud, parsemé de ciboulette et de quelques herbes fraîches.

Des déclinaisons aromatiques et visuelles pour étonner

  • Mélanger à la morue des épinards jeunes, pour allier fer et chlorophylle.
  • Ajouter des œufs mollets ou pochés déposés sur le gratin juste avant dégustation, écho aux « œufs à la bordelaise ».
  • Pour une touche anglo-saxonne, proposer à côté une petite sauce au yaourt-jus de citron-herbes, à la manière d’un dip.

Au Québec, le « brunch nordique » incorpore déjà la morue : la tendance prend dans l’Hexagone, surtout auprès des brunchs chics et des tables néo-bistrots (source : L’Obs, 2023).

Accords boissons et meilleures associations pour un brunch réussi

Le brunch à la bordelaise ne serait rien sans une sélection de boissons bien choisies. Ici, la mer appelle la vivacité et la légèreté, loin des rouges corsés de la rive gauche.

  • Vin blanc sec de Bordeaux : Graves, Entre-Deux-Mers ou Côtes-de-Blaye, aux notes d’agrumes et de pierre à fusil, réveillent la finesse de la morue.
  • Cocktail frais : Un spritz au Lillet blanc et zestes de citron, hommage à la tradition apéritive locale.
  • Infusions glacées : Verveine-agrumes, menthe-pamplemousse, pour remplacer le thé noir classique.
  • Jus de fruits maison : Pomme-coing des vergers aquitains, à la saison, sublime la palette aromatique du poisson salé.

Selon une étude Vinexpo-Bordeaux (2019), les vins blancs secs locaux représentent 17% de la consommation régionale lors des repas “hors dîners” comme le brunch, un chiffre en augmentation de 4% depuis 2015.

La tradition revisitée : l’enjeu culturel et l’appétit des nouvelles générations

Adapter le gratin de morue pour le brunch va bien au-delà d’une fantaisie : c’est un acte de transmission dynamique. À Bordeaux, plusieurs jeunes chefs revisitent ouvertement la cuisine du patrimoine ; chez Symbiose, rue des Piliers-de-Tutelle, on a déjà vu des tapas de morue passées au four servis pour le brunch du dimanche. L’enjeu ? Redonner la main à des recettes parfois délaissées, leur donner une place vivante à la table contemporaine sans les figer dans le passé.

  • La tendance brunch a progressé de 12% dans les grandes villes françaises de 2019 à 2023 (source : Food Service Vision), portée par le besoin de convivialité et d’expériences nouvelles. Revisiter des classiques y trouve un écho direct.
  • Le patrimoine culinaire se transmet d’autant mieux qu’il dialogue avec les modes de vie actuels : partage, rapidité de service, variété d’assiettes, goût de l’authentique allié à la créativité.

Quelques conseils pratiques pour réussir votre gratin de morue version brunch

  • Bien dessaler : la morue doit tremper au moins 24 heures dans de l’eau froide renouvelée, pour préserver texture et saveur sans excès de sel.
  • Privilégier des produits locaux : œufs bio, pommes de terre d’Eysines, herbes du marché, pain de la Boulangerie Bastide.
  • Oser le contraste : acidité (câpres, pickles), herbacé (aneth, persil plat), croquant (radis, noisettes toastées). Le brunch est le royaume des saveurs complémentaires.
  • Travailler la présentation : en mini-cocottes, sur une planche à partager, ou en topping sur une grande tranche de pain au levain.

Perspectives savoureuses : ouvrir la morue aux mornings bordelais

Le gratin de morue bordelais, discret mais mémorable, porte en lui cette faculté rare d’unir hier et aujourd’hui. Le décliner en plat de brunch, c’est jouer le jeu de la transmission vivante, aiguiser la curiosité, et offrir à une icône régionale une place de choix sur la grande scène des plaisirs partagés. La table bordelaise s’enrichit, s’allège et s’ancre dans la modernité sans rien perdre de sa profondeur : réconfort de la morue, notes vives des herbes, convivialité sans frontières. Chacun est libre d’inventer son propre brunch, d’accorder tradition et audace – et de rappeler que Bordeaux, décidément, n’a jamais fini de surprendre.

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