L’évidence des cèpes à la bordelaise : un héritage vivant

En Gironde, l’annonce de l’arrivée des cèpes dans les sous-bois bouscule les habitudes. Un parfum de promesse saisit Bordeaux dès l’automne, tandis que primeurs et restaurateurs guettent les premières cueillettes. Si le cèpe (Boletus edulis) possède mille visages en cuisine, c’est bien à la bordelaise qu’il s’ancre dans la mémoire collective : sauté à la graisse, relevé d’ail, de persil et d’échalote, servi brûlant sur une tartine ou en garniture.

L’INRAE (Institut national de la recherche agronomique) recense chaque année en France une récolte variant fortement selon la météo, mais le Sud-Ouest s’affirme régulièrement en tête pour la diversité des espèces et la qualité du terroir (INRAE). À Bordeaux, la tradition du cèpe est ancienne et transgénérationnelle, omniprésente sur les marchés d’automne ou sur les cartes des bistrots. Pourtant, la question se pose : la modernité bordelaise, si attachée à ses racines, pourrait-elle se permettre de taquiner la formule ? L’heure n’est-elle pas venue de faire danser le cèpe à la façon des tapas ?

De la tradition à l’inventivité : pourquoi « tapasifier » le cèpe ?

Repenser les classiques, c’est poursuivre la vie du patrimoine. Les tapas, nées d’Andalousie, se sont imposées partout comme l’incarnation d’une convivialité à partager, où l’esprit du plat prime sur la quantité. À Bordeaux, la proximité de l’Espagne, le goût du Sud-Ouest pour la table joyeuse, et le succès des bars à vins incitent de nombreux chefs à revisiter leurs fondamentaux sous format miniature, sans trahir l’âme des recettes.

En 2022, 67% des Français déclaraient préférer les petites portions à partager lors de repas festifs, un chiffre qui a augmenté de 20 points en dix ans (source : Kantar Food Usage). La mutation de la scène culinaire bordelaise, depuis les années 2010, accompagne cette tendance avec une floraison de caves à manger, apéros dînatoires et bars à tapas modernes. Le cèpe, star automnale, n’y fait pas exception. Plusieurs adresses emblématiques de Bordeaux, telles que Le Chien de Pavlov ou la cave Les Doux Secrets d’Hélène, proposent aujourd’hui leur version réinventée du champignon roi, en petit format, parfois même en association avec des influences ibériques (source : Gault&Millau).

Les fondamentaux du cèpe à la bordelaise : ce qu’on ne doit jamais perdre

Toute tentative de réinvention s’appuie sur ce qui fait la grandeur du plat d’origine :

  • Cèpes frais, cueillis à maturité, d’une texture ferme et au parfum noisette.
  • Graisse de canard : le vecteur de saveur, incontournable du Sud-Ouest.
  • Ail et échalote : l’accord des arômes qui vient réveiller la chair du cèpe.
  • Persil frais, ajoutée hors feu, pour la vivacité végétale.
  • Sel de mer, poivre du moulin, aucun autre épice superflu.
  • Parfois, pain grillé comme support des saveurs.

Selon l’Académie du Goût (Académie du Goût), ces quelques ingrédients, ajoutés au bon moment et à feu suffisamment vif, font de la cèpe une petite merveille d’automne. Mais « à la bordelaise », la recette varie d’une maison à l’autre : certains y glissent un soupçon de jambon de Bayonne, d’autres préfèrent une tombée d’oignons doux. Tradition, oui, mais jamais figée.

Transposer l’esprit bordelais aux tapas : pistes et difficultés

Passer de l’assiette généreuse au format tapas n’est pas qu’une réduction physique, mais une transformation de l’expérience. Il s’agit de conserver :

  • La puissance aromatique – le cèpe ne pardonne ni la fadeur ni la surenchère.
  • La texture – croquant sous la dent, moelleux en bouche.
  • La lisibilité du terroir : le goût doit évoquer les sous-bois du sud Gironde.

Quelques écueils sont à éviter :

  • L’excès de sophistication qui ferait perdre la simplicité fondamentale du plat.
  • La surabondance d’éléments étrangers au goût initial : conserver la trame Sud-Ouest.
  • L’oubli du produit principal : le cèpe doit toujours rester la vedette.

Idées créatives de tapas aux cèpes, façon bordelaise

  • Bruschetta rustique à la bordelaise :

    Fines tranches de pain au levain grillées à la graisse de canard, cèpes juste revenus à l’ail, éclats d’échalote, persil. Un format à manger d'une main, inspiré des crostini italiens mais ancré à Bordeaux par la matière première.

  • Mini brochettes de cèpes et magret fumé :

    Enfilades de morceaux de cèpes poêlés alternés avec magret légèrement fumé, quelques paillettes de piment d’Espelette, passage rapide sous le gril. Un clin d’œil au Sud-Ouest, entre terre et forêt.

  • Petites cassolettes de cèpes confits :

    Cèpes compotés lentement à la graisse de canard, ail confit, couverts de chapelure au pain de campagne et gratinés quelques minutes. À savourer à la cuillère.

  • Gyozas croustillants au cèpe bordelais :

    Farcis d’un hachis de cèpes à la bordelaise, ces petits raviolis rappellent la capacité d’adaptation du goût bordelais, sans jamais trahir la trame aromatique d’origine.

  • Œuf cocotte « forestier » :

    Œuf fermier cassé en petite verrine, cèpes à la bordelaise disposés dessus, cuisson au bain-marie, persil frais. Explosion de textures !

Cette diversité de formats séduit de plus en plus les restaurateurs, comme l’atteste la récente inclusion de tapas de cèpes dans plusieurs bars à vins du quartier Saint-Michel – où la tradition espagnole du pintxo rencontre sans complexe les saveurs locales (source : Sud Ouest).

Recette : tartine de cèpes à la bordelaise revisitée en tapas

Pour ceux qui souhaitent s’essayer à la maison, voici une variation fidèle à l’esprit, mais pensée pour un format convivial.

  • Ingrédients (6 tapas)
    • 300 g de cèpes frais, brossés et tranchés
    • 6 petites tranches de pain au levain
    • 2 c. à soupe de graisse de canard
    • 2 échalotes, finement hachées
    • 2 gousses d’ail, écrasées
    • Un bouquet de persil plat, ciselé
    • Fleur de sel, poivre du moulin
  • Préparation
    1. Chauffer la graisse de canard dans une grande poêle.
    2. Faire revenir les échalotes à feu moyen, ajouter les cèpes et l’ail, dorer à feu vif 4 à 5 minutes, saler et poivrer.
    3. Griller les tranches de pain à sec ou à la poêle.
    4. Répartir les cèpes chauds et leur jus sur le pain, parsemer de persil.
    5. Servir aussitôt, tiède ou chaud.

On peut agrémenter d’un filet d’huile de noisette, ou déposer quelques copeaux de vieux parmesan pour la note umami. Si le timing l’impose, préparer les cèpes à l’avance, les réchauffer rapidement à feu vif avant le service.

Accords met-vin : l’élégance du geste bordelais

La dégustation de tapas aux cèpes exige un vin à la hauteur. Ici, Bordeaux se distingue par la générosité de ses rouges jeunes, rondement fruités (AOC Graves, Côtes de Bordeaux) ou la délicatesse de certains blancs secs (Pessac-Léognan, Entre-deux-Mers) dont la vivacité tranche le gras du plat.

  • Rouge : un Bordeaux à majorité de merlot, frais et peu boisé, met en valeur la note forestière du cèpe.
  • Blanc sec : un sauvignon-minéral, pour une expérience plus moderne, éclaire le plat sans l’alourdir.
  • Vin nature, pour ceux qui privilégient l’authenticité des accords directs terroir/produit, et qu’on retrouve sur de plus en plus de tables néo-bordelaises (source : Terre de Vins).

L’esprit tapas, rafraîchissant la tradition des cèpes

À Bordeaux, l’essor du format tapas n’est pas une mode passagère mais une manière de réhabiliter le plaisir du partage, sans rien perdre de l’identité locale. Revisiter les cèpes à la bordelaise en tapas, ce n’est pas simplifier pour simplifier, c’est offrir des portes d’entrée multiples à une saveur-mémoire – celle qui lie chefs, cueilleurs, convives et artisans du goût.

Pour tous ceux qui aiment voir leur terroir évoluer sans perdre le lien avec les gestes anciens : osez inviter le cèpe sur vos tables d’apéritif, laissez-le entrer dans la danse des vins, des amis, des musiques du samedi soir. L’avenir des saveurs, à Bordeaux, s’écrit peut-être ici : dans ce format léger, dense en goût et riche en histoires à raconter.

Aller plus loin : adresses bordelaises où savourer les cèpes en tapas

Pour vivre l’expérience avant d’en faire sa propre variation chez soi, quelques lieux bordelais font figure de pionniers :

  • Le Chien de Pavlov (rue de la Devise) : carte de saison, inventivité assumée.
  • La Cave à Manger Les Doux Secrets d’Hélène (rue du Loup) : superbe sélection de vins bios et tapas de cèpes à la minute.
  • Epicerie Bordelaise (Quinconces) : produits de circuit court, cèpes en petits formats à l’automne.
  • Le Point Rouge (Bacalan) : bar à cocktails connu pour ses tapas twistés Sud-Ouest.

Le succès de ces adresses témoigne : les classiques savent se renouveler à condition d’y mettre de la sincérité. Le cèpe à la bordelaise, transposé en tapas, devient l’occasion de faire dialoguer passé et présent, terre et table, famille et amis, autour d’une assiette de saison bien bordée.

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